André Aubé, l'ancêtre de cette famille, est arrivé à Québec jeune garçon fait prisonnier par les sauvages lors d'un raid contre les Iroquois et les Anglais au Lac Champlain. Le gouverneur Frontenac offrait d'abord des primes de dix couronnes pour un scalp anglais, mais s'aperçut que les sauvages trouvaient plus facile de scalper un canadien que de faire une excursion au loin. C'est pourquoi la prime fut ensuite accordée pour des prison surtout hommes et garçons en état de marcher. Il y avait parfois aux jeunes filles - la mère de Mgr Plessis en était une - et elles étaient reçues par des religieuses dans les couvents ou orphelinats. Les jeunes garçons étaient placés dans des familles.

    Il y avait parfois échange de prisonniers. Les adultes et enfants de plus de 12 ans pouvaient choisir de demeurer au Québec s'ils le préféraient.

    La première mention de la présence de André est celle de son baptême dans la chapelle de l'île-aux-grues le douze janvier 1699 ou il est inscrit seulement sous son prénom André, quinze ans. fait prisonnier par les sauvages.

"L'an mil six cent quatre vingt dix neuf le douziesme jour du mois de janvier a été baptisé sous condition dans la chapelle de Lisle aux Grues par moy prestre aoussigné curé de St Thomas et faisant fonctions curiales à St Ignace du Cap, André, anglais de nation aagé d'environ quatorze à quinze ans, pris par les Sauvages. Le parrain par Procureur a été M.re Louis, Prestre, et la marraine Louise Picard femme de Guillaume Lemieux laquelle a déclaré ne savoir signer de ce interpellé suivant l'ordonnance.

(signé ) Louis Mathieux, Prêtre."2

La deuxième mention survient dans la "lettre de naturalité" - on dirait aujourd'hui permis de citoyenneté - accordée en mai 1710 par Louis XIV de son château de Versailles des étrangers qui choisissent de "vivre et mourir en Nouvelle France." Dans la liste on trouve le nom de "André, demeurant chez Guillaume Lemieux à Bellechasse." La citoyenneté leur était accordée mais avec défense de quitter le pays sans autorisation écrite, de transmettre des renseignements à l'extérieur du pays ou de servir d'agent de liaison avec des étrangers, sous peine de perdre tous leurs droits.3

    Ce Guillaume Lemieux était un des premiers habitants de l' île-aux-grues ou il tint toute sa vie sa principale résidence, mais il possédait aussi sur la terre ferme deux lots qui lui avaient été concédés par le seigneur de Bellechasse, M Berthier, de sorte qu'à sa mort il était assez prospère pour laisser une petite fortune valuée à sept cent livres.4

    C'est vers cette époque qu'un groupe de jeunes hommes en provenance surtout de l' île d'Orléans arrivèrent prendre des terres offertes par le seigneur de la Durentaye pour fonder un nouveau village que Monseigneur de Saint-Vallier, évèque de Québec, érigea en paroisse en 1713 et auquel il laissa son nom. Le premier mariage célébré dans cette jeune paroisse de Saint-Vallier, comté de Bellechasse, fut celui justement d'André, qui pousait Geneviève Fradet le sept janvier 1715. Ils eurent sept fils et six filles qui occupèrent le bien familial. C'est là qu'André mourut et fut inhumé dans le cimetière paroissial le trente janvier 1753

    Qui donc était cet André Aubé? Lors de son mariage le cinq janvier 1715 en présence de son père adoptif Guillaume Lemieux et de Maître Olivier Morel, seigneur de la Durantaye, le notaire Michon le décrivait comme "André ôbé dit langlois fils de Jean ôbé et de Agnès sa femme des environs de Corlear."5 Corlear ou Corlaer était le nom que donnaient les français à l'établissement de Schenectady, New York, à cause du patron hollandais Arendt Van Curler qui s'y était noyé . Il y eut en effet l'expédition de Callières-Frontenac contre Schenectady dans le but de couper l'approvisionnement d'armes aux Iroquois dont les Français et même les sauvages de la Nouvelle-France redoutaient les incursions. Cependant, un témoin du massacre, Peter Schuyler, écrivait le quinze février 1689/90 un récit détaillé des atrocités donnant la liste des prisonniers, mais on n'y trouve pas le nom d'André.6

    Le nom Corléar s'appliquait aussi de façon populaire toute la colonie de New York établie le long de la rivière Hudson. Comme il y eut d'autres raids sur d'autres localités de New York dont les listes de prisonniers n ont pas été établies, on ne peut que faire des conjectures quant au lieu d'origine d'André. Cependant lors de l'abjuration le dix-neuf mars 1696 d'un. nommé John Laha (Lahaye) il est dit qu'il "professed Puritan religion until last year, when he was taken in the month of July among the Flemish of Corlar."7   Juillet 1695 serait peut- être justement la date de la capture d'André qui aurait eu environ dix ans à cette époque.

    André était-il vraiment Anglais, puisqu'on l'appelait " ôbé dit l'anglois ou l'anglais"? Il est clair qu'il ne parlait que l'anglais à son arrivée à Québec et cela suffisait dans une communauté exclusivement française à le décrire comme"l'Anglais."

    On peut conclure toutefois qu'il était de langue anglaise, mais non pas nécessairement de nationalit anglaise. Une recherche dans les noms de famille de l' époque en Nouvelle-Angleterre8 fait état d'une famille Ober, dont l'ancêtre Richard Ober, vint au Massachusetts vers 1644. Il descendait d'une famille Aubert française et hughenote passée en Angleterre en 1559. Il y a plusieurs John Ober (prononcé Obeer à l'anglaise) dans cette famille, mais aucun d'eux ne coincide avec notre André.

    L'hypothèse la plus plausible est qu'André aurait été de nationalité hollandaise, descendant des vieilles familles hollandaises de la Nouvelle-Angleterre. En effet, dans l'acte de capitulation des Hollandais et leur soumission le cinq septembre 1664 au gouverneur de manhate (New York) figure parmi les habitants hollandais le nom de Hendrik Obe9 ou André Aubé. Le nom de Obe revient dans d'autres documents d' époque, de même que sa transcription américaine, comme en fait foi l'acte d'allégeance du Hollandais Nick Loobey en 165710   On retrouve d'ailleurs continuellement aujourd'hui différentes graphies du mème nom: Aubé, , Obie, Obe, Obey.

    Dans les prénoms portés par la famille Aubé, on a conservé le souvenir de plusieurs des ancêtres. Ainsi le nom Guillaume revient souvent en mémoire de Guillaume Lemieux, père adoptif d'André. Celui de Marie-Anne "Méanne" relève les ancêtres Marie-Anne Lemieux, Marie-Anne Pouliot, Marie-Anne Mercier. Augustin, pionnier de Beresford, avait un oncle du nom de Boniface, ancêtre maternel de Mgr Lionel Audet, évèque de Québec. Les noms de François, Jean, Françoise, Rosalie, Augustin et bien d'autres reviennent souvent en mémoire des ancêtres.

1. Mgr. Donat Robichaud. BERESFORD Le petit Nipisiguit (Le texte entier est de ce livre)

2. Registre de la paroisse du Cap Saint-Ignace, P.Q.

3. Emma Lewis Coleman, New England Captives Carried to Canada bettween 1677 and 1760 during the French and Indian Wars, vol. I, p 125

4. J.M. Lemieux, L'!Ie-aux-grues et Il le-aux-oies, p 67 sq.

5. Archives nationales du Québec, actes du notaire Michon sérieL" (1709-1749). inventaire des greffes des notaires du régime français.

6 Emma Lewis Coleman. op cit vol. I, p 181, aussi Schcnectady Ancient and Modem par Joel Henry Monroe, p 97 sq. Malheureusement les régistres de la Dutch Reformed Church pour le dix-septième siècle ont été détruits lors d'un incendie

7. Ibid.. vol. I, p 2068.Wilson Ober Clough. Dutch Uncles and New England Cousins, p 43.

9. E.B. O'Callaghan. History of New Netherland or New York under the Dutch, vol. 2. p 529. note1

10. Ibid. vol. 2. p 315. note 1